Le retour du tourniquet

Depuis plus de 20 ans, les Québécois apprennent que l’application d’un tourniquet (ou garrot) n’est pas recommandée lors d’une hémorragie grave. C’est plutôt la pression directe et l’application d’un pansement compressif qui est enseigné comme traitement de première ligne. Cet automne, avec la mise à jour des lignes directrices internationales, le tourniquet fait son grand retour dans les interventions  en premiers soins !

Ainsi, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada annonçait à l’automne 2020  que « le garrot fabriqué industriellement doit être utilisé comme traitement de première ligne pour une hémorragie d’une extrémité mettant en jeu le pronostic vital et doit être mis en place dès que possible après que la blessure s’est produite.»

Comment en sommes-nous arrivés là ?

 

Les flambées de violence, les attentats et les conflits armés des dernières années ne sont pas étrangers à ce changement de direction… et pas seulement chez nos voisins du sud ou ailleurs dans le monde ! On n’a qu’à se rappeler l’attentat de la mosquée de Québec, plusieurs fusillades dans la métropole et, tout dernièrement, un homme ayant fait 2 morts et 5 victimes à Québec le soir d’Halloween pour réaliser que cela peut aussi nous arriver.

Par chance, ce genre d’événement est rare et constitue une proportion infime des incidents hémorragiques. Il est beaucoup plus probable que vous ayez à intervenir auprès d’une personne en hémorragie dans le cadre de votre travail ou à la maison.

L’hémorragie grave représente plus de 50% des causes de décès chez les patients blessés en milieu préhospitalier.

Un peu d’histoire

 

Lors des conflits armés, depuis la guerre du Vietnam en passant par les guerres du Golfe jusqu’au conflit en Afghanistan, les autorités médicales rapportent que parmi les causes de décès potentiellement évitables, 38% des victimes sont décédées de blessures aux extrémités. Afin d’y remédier, l’application du tourniquet (garrot) est devenu le traitement de première ligne lors de tels événements.

Depuis le début de la guerre en Afghanistan (2001), tous les soldats canadiens apprennent à appliquer des tourniquets (garrots) et des pansements hémostatiques chez les patients présentant des blessures hémorragiques aux extrémités.

Devant les bienfaits d’un tel traitement, le milieu préhospitalier a graduellement intégré ces équipements afin d’intervenir rapidement lors de situations où une hémorragie incontrôlable menaçait la vie de la victime où lorsque plusieurs victimes devaient être traitées rapidement par un nombre restreint d’intervenants (ex: fusillade, attentat, etc).

Les tourniquets dits « tactiques » sont utilisé depuis 2016 par les techniciens ambulanciers/paramédics au Québec et font maintenant leur entrée dans la trousse de premiers soins des secouristes dont le milieu de travail est jugé à haut risque.

C’est quoi un tourniquet et quand doit-on l’installer ?

 

C’est un dispositif utilisé pour appliquer une pression sur un membre ou une extrémité afin d’arrêter le flux sanguin lors d’une hémorragie importante. Selon les nouvelles lignes directives internationales, les garrots doivent être utilisés dès qu’ils sont disponibles pour traiter une hémorragie d’une extrémité mettant en jeu le pronostic vital ou une hémorragie d’une extrémité qui ne peut pas être maîtrisée par une pression directe.

Toujours selon les lignes directrices, plusieurs études ont montré que les garrots peuvent arrêter l’hémorragie d’une extrémité de façon sécuritaire et réduire les cas de mortalité. Puisqu’il est possible qu’un garrot ne soit pas toujours à portée de main, une pression manuelle directe doit être appliquée jusqu’à ce que l’on puisse utiliser un garrot.

Il s’installe facilement par un secouriste ou même par la victime elle-même. Nous verrons à la fin comment l’installer mais auparavant il est important de savoir reconnaître ce qu’est une hémorragie massive!

Reconnaitre une hémorragie massive

 

Un saignement massif est une hémorragie provoquée par atteinte d’une artère, occasionnant un jet de sang. L’intensité de ce saignement en jet, rythmé par les battements cardiaques, dépend de la pression artérielle et de la taille de la plaie. Coeur+AVC indique qu’il est possible de reconnaître une hémorragie mettant en jeu le pronostic vital par la formation d’une flaque de sang au sol, du sang qui coule rapidement ou qui gicle d’une blessure ou un saignement qui ne s’arrête pas malgré une pression manuelle directe.

Voici quelques exemples d’événements pouvant causer un saignement massif :

  • Un tireur actif (ex: blessure par balle aux bras ou aux jambes)
  • Une attaque avec arme blanche (ex: couteau, épée, etc.)
  • Un accident de voiture (ex: blessures grave à un membre lors de l’accident)
  • Un événement domestique (ex: coupure importante avec une scie)
  • Un évènement industriel (ex: sectionnement d’un membre par une machine)

Lors d’une hémorragie artérielle, les victimes peuvent mourir en moins de 5 minutes

Combien de temps peut-on laisser un tourniquet en place ?

 

Dans un contexte urbain, il est recommandé de ne pas laisser le tourniquet en place plus de 2 heures afin d’éviter de causer des lésions supplémentaires en raison de l’absence d’oxygène dans les tissus. De plus. le tourniquet est à l’origine d’importantes douleurs qui sont dues à la perte d’oxygène (l’ischémie nerveuse) ainsi qu’à la compression directe des nerfs.

La pose du tourniquet 

 

Il est important d’avoir une formation sur la pose du tourniquet.  L’équipe clinique de FPS et la CNESST prépare actuellement la mise à jour des contenus de formation afin d’inclure un volet sur le tourniquet. Nous vous tiendrons informé dès que les formations disponibles. En attendant, vous pouvez déjà vous procurer des tourniquet en visitant notre boutique en ligne.

Placer le tourniquet 4 doigts au-dessus de la blessure

Serrer le tourniquet le plus possible en tirant sur la ganse

Tourner le bâton jusqu’à ce que le saignement arrête

Bloquer le bâton dans l’encrage

Sécuriser le tourniquet avec la bande velcro et noter l’heure de l’installation.

Taux de survie lorsque le tourniquet est installé…

…avant l’arrivée au centre hospitalier: 89%

…au centre hospitalier: 78%

…avant que la victime soit en état de choc: 96%

…lorsque la victime est déjà en état de choc: 4%

Conclusion

 

L’ajout du tourniquet dans votre arsenal de secouriste peut s’avérer un outil précieux en cas d’hémorragie grave car il est simple à utiliser et sans conséquences lorsque la victime est prise en charge rapidement par les services préhospitaliers d’urgence.

Il ne faut toutefois pas oublier que l’application d’une pression directe sur la plaie sera, la plupart du temps, une mesure efficace pour contrôler une hémorragie grave… et que certaines ne peuvent pas être contrôlées à l’aide du tourniquet 🙂

Références :

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3322653/

https://cpr.heartandstroke.ca/s/article/2020-Guidelines?language=en_US

https://www.croixrouge.ca/crc/documentsfr/FR_Recommandations_2016.pdf

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