18 Nov Devrais-je me procurer un dispositif anti-étouffement?
À l’heure actuelle et pour la majorité de la population, la réponse courte est Non.
Mais comme de plus en plus de personnes nous contactent à ce sujet après avoir vu ces dispositifs sur les médias sociaux ou dans certains magasins à grande surface, FPS a cru bon de rédiger cet article pour aller « au fond de la question » et vous aider à faire un choix éclairé.
Pourquoi ces dispositifs suscitent-ils autant d’intérêt?
Si un être cher s’étouffe, il risque d’en mourir. Vous allez donc déployer tous les moyens en votre possession pour l’aider… surtout si c’est votre enfant!
Les fabricants de ces dispositifs jouent donc la carte émotive et s’appuient sur de nombreux témoignages de parents qui ont sauvé leur enfant pour justifier la pertinence et la fiabilité de leur produit.
Pour ajouter au côté dramatique, certains manufacturiers font état de 5000 décès par année aux États-Unis, mais quand on analyse cette statistique plus en détail, moins de 3% sont âgés de 0 et 14 ans. Au Canada, pour ce même groupe d’âge, on recense 32 décès selon cet article.
Bien qu’un décès soit toujours un de trop, ce qu’il faut en conclure est que le risque qu’un enfant meure en raison d’un étouffement est très faible!
Par ailleurs, bien que les techniques de désobstruction aient un taux de succès très élevé, il subsiste une très faible proportion des cas où elles ne fonctionnent pas. Les manufacturiers de ces dispositifs avancent donc cet argument pour justifier la pertinence de leur produit dans le marché.
Comment fonctionnent les dispositifs de désobstruction des voies respiratoires?
Leur fonctionnement est comparable à un débouchoir à ventouse, communément appelé débouche-toilette, muni d’un masque que l’on positionne sur le visage de la victime. Lorsqu’on appuie, l’air contenu dans la portion supérieure du dispositif est expulsé par des évents. Ensuite, tout en maintenant une pression sur le masque, on tire rapidement pour créer un effet d’aspiration qui, selon les prétentions des manufacturiers, dégagerait le corps étranger logé dans les voies respiratoires.
Si le dispositif est aussi efficace et pertinent que les manufacturiers le prétendent, pourquoi aucun distributeur d’instruments médicaux n’en vend-il?
Parce qu’à l’heure actuelle, que vous soyez au Canada, aux États-Unis ou en Europe, il n’existe aucune étude sérieuse qui démontre l’efficacité et la sécurité de ce type de dispositif. De plus, aucun organisme national ou international ne recommande officiellement l’usage d’un tel produit.
Par ailleurs, la FDA (Équivalent de Santé Canada aux États-Unis) a publié un communiqué en avril 2024 afin de sensibiliser la population au sujet de ces dispositifs. Ce dernier mentionne entre autres que :
- La sécurité et l’efficacité n’ont pas été établies
- Leur utilisation peut retarder l’intervention de désobstruction
- Il faut d’abord tenter les manœuvres de désobstruction avant d’envisager leur utilisation
- Des rapports leur ont été soumis, décrivant des problèmes liés à l’utilisation de tels dispositifs tels que l’inefficacité à désobstruer ou des blessures aux lèvres, à la bouche ou la gorge.
Pourtant, sur le site de certains manufacturiers, il y a des études qui démontrent leur efficacité…
Malgré la prétention des manufacturiers, les études qu’ils présentent ne sont malheureusement pas concluantes puisque la majorité a été réalisée sur des mannequins ou sur des cadavres humains et non sur des personnes vivantes. De plus, une étude comporte même un biais de recherche* qui affecte considérablement sa crédibilité.
En 2019, le prestigieux Resuscitation Journal a répertorié et analysé les études disponibles et la conclusion fut la suivante :
Il existe de nombreuses faiblesses dans les données disponibles et il y a eu peu d’essais impartiaux qui ont testé l’efficacité des dispositifs d’aspiration anti-étouffement, entraînant des preuves insuffisantes pour soutenir ou décourager leur utilisation. Les intervenants doivent continuer à respecter les lignes directrices rédigées par les autorités locales de réanimation qui s’alignent sur les recommandations de l’ILCOR**.
Du même souffle, la plus récente publication de l’ILCOR** à ce sujet indique qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour formuler une recommandation concernant ces dispositifs.
En 2022, les conclusions d’une première phase d’une nouvelle étude sont prometteuse mais vont dans le même sens que la recommandation actuelle de l’ILCOR.
*C’est quoi un biais de recherche?
Le biais de recherche survient lorsque les chercheurs menant l’expérience utilisent un protocole d’étude ou modifient les résultats, ce qui peut avoir un impact significatif sur la conclusion de l’expérience. Dans une des études sur les dispositifs de désobstruction, les analystes ont découvert que les auteurs de l’étude faisaient partie de la même famille que l’inventeur et propriétaire de la compagnie. Dans la communauté scientifique, ce genre de biais enlève beaucoup de crédibilité à une étude.
**C'est quoi l’ILCOR?
Le Comité de liaison international sur la réanimation est une organisation mondiale composée de divers conseils de réanimation (ex.: Croix-Rouge, Fondation des maladies du cœur). Ils ont pour mission de promouvoir, diffuser et préconiser la mise en œuvre internationale de la réanimation et des premiers soins basés sur des données probantes, en utilisant une évaluation transparente et un résumé consensuel des données scientifiques.
Les manufacturiers mentionnent pourtant que le dispositif est approuvé par Santé Canada et la FDA, c’est donc sécuritaire et recommandé non?
Pas du tout! Il y a bien un processus d’homologation des instruments médicaux, mais seulement pour ceux des classes 2, 3 et 4. Au Canada comme aux États-Unis, les dispositifs anti-étouffement sont des instruments médicaux de classe 1 qui ne requièrent pas d’homologation donc il n’y a aucun processus d’approbation.
Autrement dit, un manufacturier pourrait commercialiser un authentique débouche-toilette pour désobstruer votre enfant et ce serait permis…jusqu’à ce que des plaintes concernant l’inefficacité ou la dangerosité du produit soient formulées à Santé Canada. C’est à ce moment qu’ils interviennent et peuvent exiger un rappel des équipements en question.
Quelles sont les recommandations de FPS?
Pour les raisons nommées dans cet article, FPS a choisi de ne pas commercialiser ce genre de produit pour le moment. Toutefois, comme notre mission est de former et équiper les Québécois de tout âge pour qu’ils soient prêts à sauver des vies, nos recommandations se déclinent en quatre axes:
1. La prévention
Comme la majorité des victimes d’étouffement sont des aînés ou des enfants, il est important de connaître les précautions de base pour ces groupes afin de prévenir une telle situation.
Chez les aînés, l’organisme Parachute recommande de :
- Modifier les aliments selon le degré de difficulté à avaler.
- Manger et boire en position assise, jamais en position allongée.
- Éviter de parler ou d’être distrait (ex: télévision) pendant que vous mangez.
- Prendre son temps et mastiquer lentement les aliments.
- Manger avec quelqu’un d’autre ou dans un environnement surveillé.
Chez les enfants, Naître et grandir recommande de :
- Superviser votre enfant pendant les repas et collations.
- Offrir à votre enfant les aliments sous une forme appropriée selon son âge et ses habiletés.
- Apprendre à votre enfant à manger calmement, à ne pas parler la bouche pleine et à bien mastiquer ses aliments.
- Couper en petits morceaux les aliments ronds.
- Éviter de donner aux enfants de moins de 4 ans de petits aliments durs et ronds (ex.: arachides, noix, raisins secs, raisins frais entiers, maïs soufflé, saucisses à hot dog non coupées, carottes crues, bonbons et pastilles).
- Ne pas laisser votre tout-petit jouer avec des jouets de très petite taille ou avec des ballons de latex.
- Garder hors de la portée de votre tout-petit certains objets dangereux qu’il pourrait mettre dans sa bouche (ex. : billes, boutons, pièces de monnaie, aimants et piles).
2. La formation
Comme recommandé par l’ILCOR et les organismes de formation nationaux, il est essentiel de suivre une formation et se requalifier régulièrement afin de reconnaître les signes d’obstruction complète des voies respiratoires et intervenir efficacement lorsque cela survient.
Consultez nos horaires pour vous inscrire à une formation ou contactez-nous afin d’organiser un groupe privé.
Reconnaître
- La victime ne peut pas tousser, parler ou respirer
- La victime panique et peut porter les mains à sa gorge
- La peau (en particulier les lèvres) prend une coloration bleuâtre
Intervenir
Chez l’adulte ou l’enfant de 1 à 8 ans
- Demander à la personne si elle est étouffée et l’informer que vous pouvez l’aider
- Effectuer plusieurs répétitions d’une des techniques suivantes* :
- Tapes dans le dos
-
- Poussées abdominales (Technique de Heimlich)
-
- Poussées thoraciques
- Si la technique ne fonctionne pas, utiliser une autre de ces techniques jusqu’à ce que le corps étranger soit expulsé.
- Contactez le 911 au besoin ou si la victime perd conscience
*Les organismes nationaux de formation s’entendent pour dire qu’il est généralement nécessaire d’utiliser plus d’une technique et que toutes les techniques sont équivalentes sur le plan de l’efficacité.
Chez l’enfant de moins de 1 an
- Alterner l’utilisation de ces deux techniques jusqu’à ce que le corps étranger soit expulsé :
- 5 tapes dans le dos
- 5 poussées thoraciques
- Contactez le 911 au besoin ou si le bébé perd conscience
3- La gestion des exceptions
Vous appliquez rigoureusement les principes de prévention et votre formation est à jour, mais vous demeurez inquiet car vous côtoyez des personnes à risque élevé d’étouffement* et êtes prêt à débourser une centaine de dollars pour avoir un « plan B » au cas où les techniques ne fonctionneraient pas? Dans ce cas, la décision vous revient! Si vous l’achetez, entreposez-le dans un endroit stratégique et facilement accessible mais ne l’utilisez qu’après avoir tenté des manœuvres et appelé le 911.
*Ex.: personnes âgées ou handicapées présentant des difficultés de déglutition. Notez que certains fabricants ne recommandent pas d’utiliser leur dispositif sur un enfant de moins de 1 an en raison de la trop grande succion exercée.
4- La veille d’informations
La communauté scientifique s’intéressant de plus en plus à ces dispositifs, on peut s’attendre à ce que des études crédibles soient publiées au cours des prochaines années. Ces dernières seront étudiées par l’ILCOR qui pourrait émettre de nouvelles recommandations. FPS effectue une veille constante des meilleures pratiques en matière de premiers soins, nous vous tiendrons informés de l’évolution de la situation.
Auteurs et références
Cet article a été publié le 19 novembre 2024 et rédigé par:
- Martin Caron, Conseiller clinique chez FPS, TAP-Instructeur
- Denis St-Pierre, PDG et directeur de la formation chez FPS
Références:
https://www.mdpi.com/1660-4601/19/7/3846
https://www.resuscitationjournal.com/article/S0300-9572(20)30087-3/abstract
https://cps.ca/en/documents/position/child-and-youth-injury-prevention
https://childrenfirstcanada.org/wp-content/uploads/2022/09/RC2022_CFC_RC-Report_09-02.pdf
https://parachute.ca/fr/sujet-blessure/etouffement/
https://parachute.ca/wp-content/uploads/2019/06/SKW-Trend-Report.pdf